Sur le thème des réseaux sociaux, un spectacle de la cie Ex-voto à la lune créé avec des collégiens de Kingersheim


par Frédérique Meichler / Journal L’ALSACE

Le collège Émile-Zola de Kingersheim est associé à la création du spectacle « Crari or not crari », de la compagnie Ex-voto à la lune, à découvrir
au prochain festival Momix. Au centre du propos, l’usage des réseaux sociaux, ces outils numériques de « marketing de soi ». « Crari, ça veut dire «faire genre », explique Marion Suzanne, membre de la , qui a animé récemment deux ateliers au collège Émile-Zola de Kingersheim, pour des élèves de 4e. Au centre de la nouvelle création de cette compagnie déjà présente au en 2016 avec son et son installation au casque de réalité virtuelle
La Chambre de Kirstoffer -, la question des réseaux sociaux et de l’adolescence, l’influence de la vie « virtuelle » des ados sur leur vie réelle.
« À un âge où la construction de la personnalité dépend plus que jamais du regard de l’autre, l’importance de leur existence sur les réseaux est primordiale pour les ados », explique Émilie Anna Maillet, directrice de la compagnie artistique Ex-voto à la lune et conceptrice du projet Crari or not crari . Elle constate que les applications omniprésentes dans la vie des ados sont autant d’ « outils de marketing de soi ».

Dix ados dans une fête dans une fête.
Une fête à laquelle seront conviés les spectateurs de Momix, dans un dispositif particulier : équipés d’un casque de réalité virtuelle, ils suivront au milieu du salon un parcours d’infiltration de 30 minutes entre réel et virtuel, dans la peau de l’un des protagonistes. La performance décortique les émotions de l’adolescence dans un monde où le virtuel et le réel se rencontrent en permanence.

Des collégiens impliqués

Pour concevoir ce projet, Émilie Anna Maillet s’empare précisément des outils numériques familiers des ados, Instagram, Tik-Tok, Snapchat.. C’est par le
biais de ces différentes applications qu’on apprend à mieux « connaître » les protagonistes. En amont de la création fin janvier au festival international
jeune public Momix, la compagnie mène un travail au long cours avec des collégiens dans plusieurs établissements secondaires en France, dont le collège Émile-Zola de Kingersheim.

Immersion littéraire
La venue de la compagnie est précédée dans les classes de tout un travail de préparation : pour permettre aux élèves de s’imprégner des caractères et émotions des dix personnages de Crari or not crari , Ex-voto à la lune leur demande de répondre à un QCM (questionnaire à choix multiples) réunissant plusieurs dizaines de citations littéraires, de Molière à Duras, de Corneille à Koltès, de Shakespeare à Bukowski, de Musset à Brel, de Goethe à Beauvoir, de Tchekhov à Sylvia Plath : une immersion dans la littérature mondiale, un bouquet de citations
qui ont toutes un rapport avec l’image de soi, le rapport aux autres, la quête d’amour et de puissance…

À chacun son profil
En fonction de leurs réponses au QCM, les élèves sont associés en fin de parcours au profil de l’un des dix protagonistes de Crari or not crari , Victor, Gabriel, Alma, Safia, Solal, Mathis, Isham, Jules Élie, Anaïs, Marilou…

Deux jours intensifs d’atelier
Après cette imprégnation des personnages en prélude aux ateliers pratiques, la compagnie débarque dans la classe pour deux jours de production intensive.
Objectif : enrichir les « profils » des personnages par des capsules sonores et vidéos réalisées avec les élèves, qui seront postées sur leurs réseaux Instagram, Tik-Tok, Snapchat…
« Quand on arrive, les élèves connaissent les textes et les personnages, poursuit Marion Suzanne. Notre travail, c’est de métaphoriser dans le langage des applications tous ces éléments qui caractérisent les personnages et qui sont présents dans les citations. On est une petite armée de cinq personnes, avec du matériel, on a trois heures pour tourner toutes les images, faire le montage
et la post-production… À midi, on doit repartir avec dix publications prêtes à poster sur les réseaux. » Autant dire qu’ils n’ont pas chômé.
Durant ces ateliers, les élèves ont inventé des dialogues et des saynètes, joué des personnages (ils peuvent tous les interpréter, filles ou garçons, grâce à l’utilisation d’un masque virtuel sur la caméra, qui les rend anonymes). Le tout à découvrir lors du prochain festival Momix, qui se déroule du 27 janvier au 7 février à Kingersheim et dans de nombreux lieux partenaires.

L’illusion d’une communauté, des corps fantasmés
Plusieurs compagnies invitées à cette édition 2022 de Momix utilisent les outils numériques dans leurs créations. Ex-voto à la lune est celle qui pousse le plus loin la démarche et explique ses intentions : « À un âge où la construction de la personnalité dépend plus que jamais du regard de l’autre, l’importance de leur existence sur les réseaux est primordiale pour les ados. Elle est le baromètre de leur popularité, qui influence leur sentiment d’existence et de puissance. On y affiche des selfies et des posts qui doivent paraître sincères, mais qui n’en sont pas moins une mise en scène de soi qui va souvent jusqu’au masque (pseudo, filtres…). Ils permettent de faire communauté et d’idéaliser des rencontres en tenant à distance la vie réelle, mais peuvent aussi devenir une arme de destruction redoutable (harcèlement, comptes « ficha », etc.). Ces questions de popularité, lynchage, amour virtuel, ou encore de coming out sur les réseaux exacerbent les sensations bien concrètes liées aux mutations physiques et émotionnelles des adolescents. »

La question du corps
« La question des réseaux chez les adolescents révèle un sujet bien plus vaste que celui du numérique et de son utilisation, celui du rapport au corps : corps fantasmé, corps caché, besoin d’être touché, peur d’être rejeté, découverte de la sexualité, sensation d’être étranger à ce qu’on est en train de devenir, de ne pas être celui ou celle qu’on avait imaginé, crainte ne pas correspondre à la norme, sensations de toute puissance ou d’extrême faiblesse, conduites dangereuses pour éprouver la valeur de la vie et se sentir vivant… » Crari or not crari , c’est l’histoire de 10 adolescents de 15 ans pris sur le vif : ils sont à une fête, ils flirtent, dansent, palpitent, font des erreurs, se perdent…

par Frédérique Meichler

Photo
L’Alsace /Darek SZUSTER